Paris, 1943-1944
Quelques adolescents traversent les années réputées les plus lumineuses de leur existence, qui se trouvent être aussi, pour leur pays, les plus sombres. À quoi ressembla cet apprentissage bousculé, cet âge de désir, de révolte et de feu vécu dans l'étouffoir de la fin de l'occupation ? Le bachot ou le maquis ? Les filles ou l'héroïsme ? Le renoncement à vivre ou la rage de vivre ?
Au vrai, pour Lucien, Noëlle, Luc, Bertrand, Colette, la question se posait à peine. Ils ont l'âge - 16, 17 ans - où l'on s'asseoit entre deux chaises, où l'on passe " à côté de tout ". Ils savent bien qu'ils traversent une période d'exception, de haine, et ils devinent qu'un jour on la racontera avec des trémolos flatteurs. Ils sentent qu'il suffirait d'un jeu du hasard, d'un peu d'audace, pour que bascule leur destin. Mais, pour eux, la noirceur du temps n'est que grisaille. Les courages dont on fera bientôt, un peu abusivement, la seule et commode histoire de leur pays ces années-là, ils passent près d'eux sans les voir. Ou presque. Il y a d'un côté la bouffe, le marché noir, les combines, le ressassement malhabile des misères et des espérances. Et de l'autre, la vie. Leur vie. Leur vie envers et contre tout - c'est-à-dire les livres et les concerts, les balades à vélo dans la ville déserte, l'envie de cogner aux murs de la prison. Et les filles pour les garçons. Et les garçons pour les filles...
À quoi ressemblait l'amour des adolescents, il y a soixante ans - il y a mille ans ? Quand aller jusqu'à Bièvres était une aventure. Quand une chambre à air de bicyclette qui refusait sa douzième rustine vous condamnait à la solitude. Quand on disait encore " vous " à ses parents. Quand on avait oublié le go-t de la mer et celui des oranges.
Pas de grands sentiments dans cette histoire, ni de drapés avantageux. Seulement les mots et les gestes quotidiens des gosses d'alors, leurs passions, leurs minuscules blessures. Celles dont on leur dit : " Tu riras de ça dans vingt ans ". Et l'on se trompe, bien entendu.
J'ai raconté tout cela aujourd'hui parce que, aujourd'hui, les enfants de 1944 sont devenus des quadragénaires assis au volant de l'opulence, des gagne-gros, des réalistes dans lesquels je n'arrive pas à me reconnaître. Il est vrai que j'atteins l'âge où l'on déteste les miroirs.
Quelques adolescents traversent les années réputées les plus lumineuses de leur existence, qui se trouvent être aussi, pour leur pays, les plus sombres. À quoi ressembla cet apprentissage bousculé, cet âge de désir, de révolte et de feu vécu dans l'étouffoir de la fin de l'occupation ? Le bachot ou le maquis ? Les filles ou l'héroïsme ? Le renoncement à vivre ou la rage de vivre ?
Au vrai, pour Lucien, Noëlle, Luc, Bertrand, Colette, la question se posait à peine. Ils ont l'âge - 16, 17 ans - où l'on s'asseoit entre deux chaises, où l'on passe " à côté de tout ". Ils savent bien qu'ils traversent une période d'exception, de haine, et ils devinent qu'un jour on la racontera avec des trémolos flatteurs. Ils sentent qu'il suffirait d'un jeu du hasard, d'un peu d'audace, pour que bascule leur destin. Mais, pour eux, la noirceur du temps n'est que grisaille. Les courages dont on fera bientôt, un peu abusivement, la seule et commode histoire de leur pays ces années-là, ils passent près d'eux sans les voir. Ou presque. Il y a d'un côté la bouffe, le marché noir, les combines, le ressassement malhabile des misères et des espérances. Et de l'autre, la vie. Leur vie. Leur vie envers et contre tout - c'est-à-dire les livres et les concerts, les balades à vélo dans la ville déserte, l'envie de cogner aux murs de la prison. Et les filles pour les garçons. Et les garçons pour les filles...
À quoi ressemblait l'amour des adolescents, il y a soixante ans - il y a mille ans ? Quand aller jusqu'à Bièvres était une aventure. Quand une chambre à air de bicyclette qui refusait sa douzième rustine vous condamnait à la solitude. Quand on disait encore " vous " à ses parents. Quand on avait oublié le go-t de la mer et celui des oranges.
Pas de grands sentiments dans cette histoire, ni de drapés avantageux. Seulement les mots et les gestes quotidiens des gosses d'alors, leurs passions, leurs minuscules blessures. Celles dont on leur dit : " Tu riras de ça dans vingt ans ". Et l'on se trompe, bien entendu.
J'ai raconté tout cela aujourd'hui parce que, aujourd'hui, les enfants de 1944 sont devenus des quadragénaires assis au volant de l'opulence, des gagne-gros, des réalistes dans lesquels je n'arrive pas à me reconnaître. Il est vrai que j'atteins l'âge où l'on déteste les miroirs.