Poète, essayiste, romancier, peintre, Jacques Chessex est l'auteur d'une oeuvre importante où l'on retient, entre autres, les romans suivants : L'Ogre (1973, Prix Goncourt, publié dans Les Cahiers Rouges), La Trinité (1992), Monsieur (2001), L'Economie du ciel (2003), L'Eternel sentit une odeur agréable (2004). La transgression est au coeur de l'oeuvre de Jacques Chessex. Mais peut-il y avoir un plus grand péché qu'aimer d'amour charnel une sainte ? Le narrateur, « médiocre professeur chassé de l'enseignement, archiviste congédié puis journaliste sans travail », croise le chemin d'Aloysia Pia Canisia Piller, dite Canisia, un jour de 1980 à Fribourg. Il la suit dans la cité médiévale et catholique où il surprend les secrètes amours de l'abbesse Canisia avec les rebuts de l'humanité. Pour élever les hommes vers Dieu, tel le baiser aux lépreux, elle s'abaisse, se donne, et plus elle est souillée, mieux elle est sanctifiée. Il en devient le confident, peut-être l'amant, et contemple en égaré le double visage illuminé de la déchéance et de l'élévation : « Les saints ne savent pas qu'ils sont saints et ils marchent vers leur apothéose ». Après la mort de l'abbesse, le narrateur se réfugie au creux d'un vallon, comme un janséniste à Port-Royal, dans une maison où deux femmes veillent jalousement sur lui : Lydie, « la petite fouine du diable », et l'intendante Madame Grivet. Hanté par le souvenir de la Sainte, fiévreux de coupables étreintes avec la sensuelle Lydie, certain d'un secret qui pèse sur ce lieu, il en vient à se persuader qu'il faut immoler les femmes pécheresses par le feu. En cherchant Dieu, on trouve le diable. « C'est la chance de la folie d'errer entre sépulcre et ciel » résume l'auteur. Prose en couronne d'épines qui nous griffe, magnifique dans l'évocation d'une femme à genoux transfigurée par le don de soi, ce roman flamboyant, tout à la fois d'un christianisme pacifié et exaspéré, confirme que Jacque Chessex est l'un de nos plus grands écrivains.