« Quand son mari devait écrire, elle faisait place nette sur la table de la cuisine. Elle prenait un chiffon sec, essuyait la toile cirée à petits carreaux bleus et blancs, qui n'avait nul besoin de ce surcroît de propreté. Puis elle ouvrait le buffet, en sortait le sous-main et le papier à lettres qu'elle posait religieusement. Bientôt l'encrier et le porte-plume suivaient, prêts pour l'officiant. Alors le mari s'asseyait sur la chaise qu'elle avançait. Elle se tenait droite derrière lui dans une attitude de recueillement et d'admiration. Le visage inspiré, il lissait une feuille blanche, prenait le porte-plume, le trempait dans l'encre et commençait à tracer de cette écriture qui n'a plus cours, faite de pleins et de déliés, de fioritures et de boucles, des lettres qu'elle épelait pour elle-même, en remuant les lèvres, dans un murmure de prières chuchotées ou de confessionnal. Elle connaissait par cœur la première ligne puisqu'elle savait à qui il écrivait; mais elle ne pouvait résister au désir d'épeler et de voir que C a se disaient Ca, r o, ro, G i, Gi, n o, no : Caro Gino. »