Depuis longtemps, il existe une société (plus ou moins) secrète des amis d'Emmanuel Berl. Tous - de Jean d'Ormesson à Patrick Modiano - sont fascinés par l'élégance de cet homme d'esprit, ami de Proust et de Drieu la Rochelle, dont l'intelligence et le charme devinrent vite légendaires. Or, de ce Berl intime et public - c'est lui, en effet, qui rédigea les premiers discours du Maréchal Pétain, à Vichy - on ne disposait pas, à ce jour, d'une biographie digne de ce nom. C'est ce vide bibliographique que vient combler l'ouvrage - très sérieux, ultra-documenté, agréable de lecture - de Louis-Albert Revah. Pour cette biographie, l'enquêteur a ici privilégié un axe : comment un juif tel que Berl a-t-il pu, si curieusement, flirter avec la culture réactionnaire et antisémite de l'entre-deux guerres ? Comment cet anarchiste de coeur a-t-il pu, par moment, cotoyer l'ordre bourgeois ? Et comment le fin prosateur de Sylvia ou de Rachel et autres grâces a-t-il pu se compromettre avec ce que son époque produisait de peu fréquentable ? Pour répondre à ces questions, le biographe reprend donc à zéro tout le dossier d'un lignage dont l'histoire se confond avec celle du judaïsme français et de son frénétique désir d'intégration. Au passage, il écume trois quart de siècle de vie intellectuelle : de Bergson à Freud, d'Edouard Herriot à Mitterrand, de Gide à Aragon. Au final le " Rabbin Voltaire " (c'est le surnom qu'on a souvent donné à Berl) sort grandi et complexifié de cette biographie qui est, à la fois, empathique et distante.