Réfugié pendant la guerre dans une petite sous-préfecture algérienne, puis à Fès pour un plus bref séjour, le jeune Jean Orieux découvre avec l'émerveillement de l'enthousiasme les charmes d'un Islam folklorique et fabuleux, comme on a peine à imaginer qu'il existait encore il y a moins de quarante ans. De la médiocrité satisfaite des "colons" aux luxueux raffinements des riches familles indigènes, c'est une mini-comédie humaine qui naît dans ce journal, tenu au jour le jour, et soudain surgi du passé dans sa fraîcheur d'origine, passionnant comme un roman, sans renoncer pour autant à la vérité du témoignage. Le grand et le petit monde du trouble Abderrhamane le magnifique, de Saïd, frère arabe de Scapin, de Si Kadour le Seigneur, de la volcanique Mme Shakespeare, et de quelques autres, dont M. André Gide lui-même, fourmille de personnages pittoresques, dans le décor de misère et de Mille et Une Nuits des cités orientales telles qu'on les rêve. Mais Jean Orieux n'est pas Shéhérazade qui fabule. Très brillant, c'est un écrivain, ravi, attentif, curieux de tout, comme s'il avait pressenti, dès l'été 42, qu'il lui fallait fixer aussitôt, pour notre délectation d'aujourd'hui, l'équilibre éphémère de cette société condamnée par l'histoire à disparaître.