De 1945 à 1975, le nombre d'étrangers résidant en France est passé de 1,7 à 3,4 millions. L'histoire traditionnelle s'est peu intéressée à cette période, considérant que durant les Trente Glorieuses, l'immigration n'était pas contrôlée. Au terme d'une enquête de plusieurs années, Alexis Spire nous livre une autre vision de cette période cruciale en restituant les pratiques de ceux qui, au nom de l'Etat, ont été chargés d'attribuer cartes de séjour, cartes de travail et naturalisations. Guichetiers, rédacteurs ou chefs de service en préfecture n'ont en fait jamais cessé de sélectionner les « bons » étrangers. L'action de ces « soutiers » de la politique migratoire est analysée ici selon trois logiques. La logique de police suppose d'accorder un droit au séjour à tout étranger, à condition qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre social et politique. La logique de main-d'oeuvre consiste à fournir aux entreprises des travailleurs étrangers, tout en protégeant le marché national du travail. Enfin, la logique de population vise à sélectionner les étrangers les plus « assimilables », tout en s'assurant qu'ils sont en nombre suffisant pour assurer le renouvellement démographique. Les trajectoires individuelles des agents en charge de l'immigration sont également révélatrices : Vichy, la Libération puis la décolonisation sont autant de moments qui ont marqué durablement leurs rapports aux étrangers. Ne perdant jamais de vue les conditions concrètes d'attribution des cartes, Alexis Spire montre que ces trois décennies, apparemment sans histoire, sont en réalité décisives pour comprendre les relations entre l'Etat et les étrangers.