Que savait-on, jusqu'à ce livre, de cette jeune femme d'origine russe, née en 1877, morte en 1904, qui décida de se convertir à l'islam et de rompre avec les moeurs de son temps ? Qui choisit de porter des vêtements d'homme avant de devenir, sous le nom de Mahmoud Saadi, cette rebelle qui fascina Lyautey, éprise d'absolu et proche du Rimbaud ? Pour Edmonde Charles-Roux, il y avait là toute la matière d'un prodigieux roman vrai. A travers des archives inédites, elle a ainsi recomposé l'itinéraire d'une héroïne « irrégulière » et mystique. Elle l'a suivie depuis sa naissance sur les rives du lac Léman jusqu'à l'instant où Isabelle accepte d'assumer le « désir d'Orient » qui la hante. On voit alors, dans une prodigieuse résurrection, toutes les figures dostoievskiennes qui ont accompagné sa jeunesse et forgé son insoumission. De la Russie des tsars à Genève puis à Marseille, de la diaspora anarchiste aux milieux littéraires, de l'exil à la révolte, c'est toute une époque qui se révèle dans l'effervescence d'un Occident qui va changer de siècle. Nomade j'étais couvre les années africaines d'Isabelle, jusqu'à sa mort, à vingt-sept ans. La voici confrontée à de multiples épreuves : la médiocrité du frère aimé Augustin ; son mariage avec Slimène Ehni, spahi algérien ; un procès ignoble qui l'expulse d'Algérie et la sépare de son mari. Mais elle revient vers la terre élue et, dès lors, « entre en nomadisme comme on entre en religion ». C'est à Aïn Sefra, où elle était en reportage, qu'elle trouva la mort un après-midi d'octobre 1904, engloutie dans les eaux d'un oued. C'est grâce au jeune lieutenant Paris, un des admirables personnages secondaires qui gravitent autour d'Isabelle et qui entreprendra de fouiller les décombres boueux, que ses manuscrits parviendront jusqu'à nous.