Préfécture de Police de Paris, 3e étage. Sous la férule d'André Tulard, chef du "service juif", une centaine de fonctionnaires est chargée d'appliquer la réglementation antisémite. Les cadres intermédiaires organisent le recensement des juifs. Les agents d'accueil du bureau 91 examinent les cas "douteux" et reçoivent les délcarations tardives. Des auxiliaires fabriquent le "fichier juif" ; d'autres s'occupent du classement des fiches puis de la préparation des rafles. Au même moment, les mille agents du commissariat général aux Questions juives, organisme politico-administratif créé à la demande des autorités allemandes, mettent en œuvre les multiples mesures d'interdictions professionnelles et gèrent la spoliation des biens.
Qui sont ces fonctionnaires et ces agents d'Etat improvisés ? Comment se représentent-ils leur travail ? Quels effets ont, sur les victimes, ces logiques professionnelles, intérêts de service, stratégies de carrière ?
A partir de sources inédites — dossiers de personnel, archives de l'épuration, fonds privés et entretiens individuels avec d'anciens fonctionnaires de Vichy —, Laurent Joly signe la première étude comparée de ces deux institutions publiques qui ont joué, sous l'Occupation, un rôle majeur dans la politique de persécution antisémite.
Alternant portraits de bureaucrates et approches quantitatives, cette enquête éclaire d'une lumière originale le fonctionnement de l'Etat et de ses dérives en situation exceptionnelle. Dans le contexte d'occupation et de dictature pétainiste, la porosité entre administrations traditionnelles et organismes nouveaux de la Révolution nationale apparaît ainsi plus importante qu'on ne le pensait, favorisée qu'elle est par l'extrême politisation de l'activité bureaucratique.