« Tout le monde ne peut pas être orphelin » : la phrase de Jules Renard trouve ici tout son écho. A peine sortie de l'adolescence, Clémence est orpheline. Pourtant, elle répugne à se considérer comme telle. En effet, aujourd'hui, elle n'éprouve plus vis à vis de la disparition de ses parents, survenue il y a des années, ni chagrin, ni regrets. Elle se surprend même de s'en être si bien accommodée. A bien y repenser, elle s'était déjà montrée un peu lâche lorsqu'ils ont, chacun leur tour, affronté la maladie : inconsciemment, elle voulait préserver son petit bonheur, savourer les premiers instants de son indépendance à Paris, et surtout fuir les images de la dégradation, le climat de la mort qui s'installe. Devrait-elle culpabiliser ? Non. Pourtant, elle aimait sincèrement ses parents. Elle se souvient avec douceur de son enfance en Suisse. La gaîté et l'étrangeté régnaient dans la propriété familiale peuplée de portraits d'ancêtres, fantômes de la généalogie auxquels le père vouait un culte. Elle évoque avec malice les obsessions de ce père émouvant, qui avait abonné ses enfants à la Société Crématoire du Canton de Vaud ! Les romans qu'elle écrit aujourd'hui, son héritage d'écrivain, la dispensent de léguer ce lot « de gènes, de commodes, de croyances ou de fantômes » aux enfants qu'elle ne souhaite pas avoir. Tout le monde n'a pas la chance d'être orphelin est un récit d'initiation, juste, touchant, décalé. Mais il n'est pas seulement cela. C'est est aussi un témoignage sans concession sur le sentiment du deuil. Clémence de Biéville dépasse ce qu'on a l'habitude d'entendre sur le sujet. Avec une honnêteté désarmante, elle explique que la souffrance n'est pas un passage obligé, ni la culpabilité d'être encore là, ni le manque éternel.. .