« Un vieux fou est plus fou qu’un jeune fou, cela est admis, quoi dire alors du fou qui nous intéresse, lorsque l’enfermement comprime sa fureur jusqu’à la faire éclater en scènes sales ? » Quel est l’homme de 74 ans enfermé dans l’hospice de Charenton, au printemps 1814, qui a commis tant de crimes et semble ne se repentir en rien ? Fuyard, brûlé en effigie, rescapé, embastillé, sodomite, blasphémateur, soupçonné d’inceste, et pourtant encore là, bouillant d’idées et d’ulcères, désireux de poursuivre l’œuvre de chair. Quel usage Mademoiselle Madeleine Leclerc fait-elle de ses 16 ans, de son corps efflanqué, vicieux ? D’où viennent ces hurlements ou ces soupirs ? A quoi l’isolement contraint-il ces libertins en chambre ? N’aurait-il pas au moins peur de la mort, où « chacune de ses paroles, chacun de ses actes résonnent plus fort ? » Le forcené a en effet trois mois à vivre. Cet homme se nomme Monsieur de Sade. La figure dont Jacques Chessex tire la matière de son récit, ce n’est pas le Sade en gloire, mais le malade fulgurant, et plus encore ce que le romancier complice à travers les âges raconte ici, ce sont ici les destins successifs de son crâne, comme une extension naturelle du corps sadien. Sade meurt en décembre 1814, sa tombe au cimetière de Charenton sera ouverte en 1818, et son crâne « ornement lui-même, de magie intense, de hantise sonore » passe dans les mains du docteur Ramon, le jeune médecin qui le veilla jusqu’à la mort. Relique, vanité, rire jeté à la face de toutes choses, effroi érotique, le crâne de M. de Sade roule d’un siècle à l’autre, incendiant, révélant et occupant le narrateur de ce livre.