Avec ce premier roman, Afsaneh Eghbal ouvre les portes du désert. D'un désert qui est un site, lumineux, tranchant, et aussi d'un autre, celui des âmes cassées. Désert des sables : ce sont les Regs, peuple vrai et mythique. Peuple aux semelles de liberté sans fin jusqu'à ce que l'Occident, par le prolongement d'un jeune Etat africain qui singe ses inspirateurs blancs, entreprenne de l'arrêter, de le mater, de l'assassiner. Khalil el-Maxfi, que l'on surnomme le Caché, secret comme "la parole d'un fou et la lune à son premier croissant". Un homme voilé, un résistant qui refuse ce destin de mort. Sa soeur, Zabou-Ivresse qui "a déserté le désert natal", au lendemain de ses épousailles forcées. Elle garde dans sa mémoire meurtrie le souvenir de l'excision et de cette nuit où l'homme a défait avec un couteau les fils qui tenaient "son vagin clos sur une nuit sans étoiles". Elle a connu Paris où elle est devenue une reine du "nu intégral". Désert des âmes : c'est Alissa, et c'est la narratrice, soeurs jumelles séparées, tombées dans la privation, Alissa, retirée, enfant, à la chaleur de cette maison en terre, enfouie dans les ruelles de Téhéran, où elle grandissait doucement auprès de sa grand-mère. Elle sera jetée dans les règles vides d'une éducation bourgeoise, à l'européenne, qui lui arrache son corps. Elle sera "éduquée à mort". Et puis de repartir, elle comme les autres, jusqu'au bout de l'errance. Afsaneh Eghbal mêle et démêle les noeuds de ses "désertiques", et si elle les guide parmi leurs tortionnaires d'un geste souvent cruel, parfois cru, c'est toujours avec le raffinement poétique d'une main orientale.