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L'ours et le philosophe

Frédéric Vitoux

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Quand l'érudition se fait jubilation !
L’ours, c’est le sculpteur Etienne Maurice Falconet, auteur de la statue équestre de Pierre Le Grand à Saint-Pétersbourg.
Le philosophe, c’est Diderot qui intervint avec empressement auprès de Catherine II pour que son ami bénéficiât de cette commande qui allait assurer sa célébrité dans toute l’Europe.
A travers leur amitié, leur correspondance et leur longue querelle épistolaire autour de la notion de postérité, Frédéric Vitoux restitue ici une époque et des hommes essentiels de l’histoire des idées (L’Encyclopédie et ses artisans, Diderot, d’Alembert, Rousseau, Voltaire, ou le trop méconnu chevalier de Jaucourt). A la faveur de rapprochements et de digressions (cet art dans lequel excella Diderot qui se comparait lui-même à un chien de chasse mal dressé), ce sont des moments de sa propre vie qu’il mêle à la matière de son essai , ce qui lui permet de s’exprimer mezza voce sur le débat qui, en son temps, nourrit l’amitié des deux hommes et aboutit à leur rupture.
Falconet ne croyait pas à la postérité tandis que Diderot plaçait en elle tous ses espoirs. Ces options antagonistes trahissent le caractère des deux hommes  : Falconet misanthrope, farouche, pessimiste, d’une probité artistique sans faille, mais volontiers brutal (on l’accusera, à tort du reste, d’avoir poussé l’un de ses élèves au suicide par ses jugements intransigeants à son égard), s’aliénant en Russie tous ses interlocuteurs, et pour finir ingrat. Diderot infatigablement dévoué à ses amis, affectif, optimisme et altruiste.
Leur fervente amitié se dissipa donc dans la rancune et la défiance en raison de plusieurs maladresses du sculpteur, son refus de tenir sa promesse de recevoir Diderot sous son toit, à Saint-Pétersbourg, quand le philosophe se décida enfin à entreprendre ce long voyage qu’espérait et attendait l’impératrice Catherine II depuis si longtemps mais aussi parce que   Falconet laissa publier, sans l’aval de Diderot, leur correspondance.
De Russie, Diderot rentre désabusé de son rêve philosophique consistant à convertir Catherine II aux Lumières  ; Falconet, lui, claquera la porte et n’assistera même pas à l’inauguration de son chef d’œuvre.
Rien de désincarné dans cet essai. Le récit de l’amitié des deux hommes donne matière à des retours sur soi de l’auteur  : l’île Saint-Louis qui lui est si chère, où vécurent aussi ses deux personnages  ; des rencontres (Le Marchand  ; Jorge Amado  ; la création du Périscope de l’île Saint-Louis, qui fut l’occasion de la rencontre essentielle avec son épouse Nicole  ; le beau portrait de l’ours Bernard Frank et du non moins ours Céline, plus amer et véhément à son retour d’URSS en 1936 que ne le fut Diderot en 1774  ; la découverte de la divagation d’un Laurence Sterne libérateur, l’auteur de Tristram Shandy dont l’influence fit déterminante pour l’auteur de Jacques le Fataliste…)