« Que faire de ses penchants ? Tu as résolu de feindre d'emprunter la pente que l'on croit aujourd'hui naturelle, et te contraindre élibérément au genre de l'écriture anciennement dite intime. T'assignant cinq heures par jour, un mois durant, à ton ordinateur, tu te donnes pour objet de raconter le souvenir que tu as d'une femme ou autre que tu as désirée ou qui t'a désirée. Tu les prendras, jour après jour, dans l'ordre où elles te reviendront en mémoire. Tu les coucheras ensuite dans l'ordre impersonnel de l'alphabet. Au fil du clavier, tu décimeras purement tes souvenirs. Mais pourquoi cet exercice, mélancolique et d'une ironie peut-être cruelle ? Disons que c'est un bien beau soir d'été, un soir où ton corps, enfin libre de trop de douleurs, retrouve dans le désordre tous ses appétits, celui de la danse, celui des autres corps, celui des femmes. Il suffirait d'aller s'asseoir à la terrasse d'un café regarder les passantes et, avant même de le savoir, sans doute te serais-tu créé des souvenirs de plus. La vie est trop courte pour se résigner à lire des livres mal écrits et coucher avec des femmes qu'on n'aime pas. Affaire de style. Dissiper ou digresser tes désirs, telle est donc la finalité de ce libertinage mental à heures fixes auquel tu t'adonneras. Mais ne risques-tu pas, entendant pourtant t'écarter des moeurs de ton temps et de son idolâtrie du désir, d'en faire - comme tant de tes contemporains, dévots autant que béates - la propagande ? Peut-on échapper à la publicité du désir ? Qui t'assure que ta critique, ton esquive n'est pas une ruse supplémentaire de son empire ? Et si, croyant résister à son assujetissement, tu ne faisais que pratiquer cette forme - si française - de résistance qui s'appelle la collaboration ? » A.G.