L'originalité de l'essai de Jean-François Revel consiste à juger le roman de Proust en « lecture directe » et non pas à travers les idées esthétiques professées par l'auteur et reprises par ses commentateurs. La théorie bergsonienne de la « double mémoire », postulat philosophique de l'oeuvre, est, littérairement, son apport le plus faible. Quant à la célèbre « continuité proustienne », quant au sens aigu du déroulement temporel, ils n'existent pas. Le génie de Proust est non pas d'avoir révolutionné la forme du roman mais d'avoir inventé un roman sans forme, une nouvelle matière romanesque. Proust a fait sien l'axiome de Ruskin pour qui « le devoir de l'écrivain est de percevoir la réalité » et, dans son oeuvre, il a porté cette exigence à sa plus haute expression, de telle manière que l'art et la vie s'y trouvent indissolublement liés. Il n'est pas pour autant un écrivain naturaliste. C'est un visionnaire : mais comme Saint-Simon ou Tacite, un visionnaire du vécu.